Affaire Giroud et RTS : la Cour européenne des droits de l’homme tranche et déclare irrecevable la plainte contre la RTS
Contexte du reportage et des faits
Les faits remontent au 22 janvier 2015. Ce soir-là, le magazine Temps Présent diffuse une enquête intitulée \”Affaire Giroud, du vin en eaux troubles\”. Le sujet portait sur des irrégularités sur le marché suisse du vin et sur le cas spécifique de Dominique Giroud, l’encaveur valaisan accusé de délits fiscaux, de fraude, de pratiques de concurrence déloyale, de falsification et d’utilisation abusive des labels \”AOC Valais\”. Le reportage abordait également ses convictions religieuses et ses opinions sur l’avortement et l’homosexualité, rappelle la Cour européenne des droits de l’homme.
Ce reportage avait aussitôt été contesté par Dominique Giroud. Il estimait que le sujet le présentait comme une personne peu recommandable impliquée dans des pratiques douteuses, qu’il ne donnait pas son point de vue et omettait des détails importants, notamment un différend personnel entre un journaliste et lui.
Voies de recours et décisions en Suisse
En 2016, l’Autorité indépendante d’examen des plaintes en matière de radio-télévision (AIEP) avait donné suite à la plainte. Elle estimait que le reportage était partial et trop critique, et qu’il se concentrait sur les aspects négatifs de Dominique Giroud, sans présenter de manière adéquate son point de vue.
La RTS a alors fait recours devant le Tribunal fédéral, qui a rejeté l’appel le 15 février 2018, partageant les constats de l’AIEP. La RTS a alors saisi la Cour européenne des droits de l’homme estimant qu’une telle décision de la Cour suprême suisse portait atteinte à la liberté d’expression de ses journalistes. La crainte était aussi que le raisonnement du Tribunal fédéral sur un point litigieux ait à terme un effet dissuasif quant à la conduite d’enquêtes journalistiques.
Décision de la Cour européenne des droits de l’homme
Dans un arrêt rendu public ce jeudi, les juges de Strasbourg balayent la requête de la RTS. Pour eux, elle est tout simplement irrecevable, le média de service public n’ayant pas suffisamment étayé cette crainte. \”Rien dans le dossier ne prouve que ces allégations aient été confirmées par des faits concrets (…) la diffusion du sujet litigieux n’a pas été interdite; l’autorité chargée des plaintes a explicitement déclaré qu’il suffirait de faire référence aux décisions contestées\”. De plus, il n’y a eu aucune obligation de le retirer des archives électroniques, peut-on lire dans l’arrêt.
\”La Cour ne constate aucun effet dissuasif dans la présente affaire. Par conséquent, les décisions contestées ne peuvent être considérées comme constituant une \”ingérence\” dans le droit à la liberté d’expression des requérants\”, concluent les juges de Strasbourg.
Réactions et suites
\”La RTS prend acte de cette décision\”, indique Christophe Minder, porte-parole du service public. \”Nous allons à présent étudier en détail les considérants de cette décision afin d’en tirer les enseignements utiles à notre pratique journalistique.\”
\”C’est avec satisfaction que Dominique Giroud a pris connaissance de la décision de la Cour européenne des droits de l’homme, confirmant l’arrêt rendu précédemment par le Tribunal fédéral, sanctionnant sévèrement la RTS\”, réagissent de leur côté les avocats du viticulteur valaisan, Me Sophie Haenni et Me Yannis Sakkas. \”La justice envoie un message clair: le journalisme d’investigation ne justifie ni la partialité ni la déformation des faits comme cela a été le cas dans l’émission de Temps Présent. Ces décisions rétablissent la vérité et l’honneur de notre client. Elle démontre qu’aucun média, fût-il public, ne peut s’affranchir des devoirs élémentaires de rigueur, de vérité et d’équité.\”
A ce jour, un autre litige au civil oppose encore l’encaveur valaisan à la RTS.