Garde nationale et pouvoirs exécutifs : décryptage des déploiements sous Trump et leurs enjeux juridiques

Garde nationale et pouvoirs exécutifs : décryptage des déploiements sous Trump et leurs enjeux juridiques

Qu’est-ce que la Garde nationale et quelles en sont les branches ?

La Garde nationale américaine constitue une force militaire d’appoint composée de soldats et d’aviateurs, majoritairement à temps partiel, organisée au niveau des États, des territoires et du district. Elle compte environ 460’000 membres. Ces réservistes exercent souvent une activité professionnelle en dehors du service et s’engagent à servir un week-end par mois et deux semaines dans l’année.

Elle peut être activée par le gouverneur pour répondre à des urgences locales telles que des catastrophes naturelles ou des troubles civils, mais peut aussi être placée sous le contrôle du président et du ministère de la Défense dans certaines circonstances. Cette double subordination permet d’intervenir aussi bien sur le sol national qu’à l’étranger, en soutien des forces armées régulières.

Issues des anciennes milices coloniales du XVIIe siècle, la Garde nationale est la plus ancienne composante des forces armées des États-Unis. Elle comprend deux branches : la Garde nationale de l’armée et la Garde nationale aérienne. Ses membres conservent souvent un emploi civil en dehors des périodes de service et elle est encadrée par la loi Posse Comitatus, qui interdit les fonctions policières et cherche à maintenir un équilibre entre défense, secours et limites de l’usage militaire sur le territoire national.

Ce que vise Donald Trump en envoyant la Garde nationale dans plusieurs villes

Dans plusieurs villes, Donald Trump déploie la Garde nationale en invoquant la sécurité publique, le « désordre » et ce qu’il présente comme une « criminalité incontrôlée ». Il présente ces déploiements comme des renforts pour protéger les bâtiments fédéraux et les agents gouvernementaux, ou pour apporter un soutien aux forces de l’ordre locales afin de restaurer l’ordre dans des zones perçues comme instables.

Cependant, ces gestes font l’objet de fortes contestations : certains gouverneurs, maires et juristes dénoncent un abus de pouvoir ou une intrusion dans les prérogatives des États, et une transgression possible des limites fixées par la loi Posse Comitatus. Dans plusieurs cas, des juges ont suspendu ces déploiements, estimant que les justifications avancées manquaient de fondement et que ces opérations apparaissaient davantage comme des démonstrations de force à visée politique que comme des réponses militaires à une crise réelle.

Quelles bases juridiques soutiennent ces déploiements ?

Aux États-Unis, le président peut exceptionnellement fédéraliser la Garde nationale et la placer sous l’autorité fédérale via le Titre 10 du Code des États‑Unis. En temps normal, ces troupes relèvent des États et sont activées par les gouverneurs pour répondre à des urgences locales, comme des catastrophes ou des troubles civils. Mais dans des circonstances précises, la Maison Blanche peut les fédéraliser et les retirer au contrôle de l’État pour les mettre au service du président et du Département de la Défense.

Cette possibilité est invoquée lorsque le pays ou un comté est confronté à une invasion, une rébellion ou un danger de rébellion, ou lorsque le président ne peut faire appliquer les lois des États-Unis avec les forces armées régulières. Dans le cadre des questions d’immigration, l’administration Trump a soutenu devant un tribunal fédéral qu’il était nécessaire de recourir à des pouvoirs fédéraux lorsque les manifestations empêchaient l’application des lois.

Mobilisations fédérales sans l’accord du gouverneur : historique et contexte

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la Garde nationale a été mobilisée au niveau fédéral sans l’accord du gouverneur au moins dix fois. Le New York Times rappelle que cinq de ces mobilisations visaient à soutenir les efforts de déségrégation raciale et la protection des droits civiques. Parmi les exemples cités figurent l’Arkansas (1957–1958), le Mississippi (1962) et l’Alabama (1963), puis une nouvelle mobilisation en Alabama en 1965 pour protéger les manifestants lors de la marche de Selma à Montgomery. Le quotidien souligne que la mobilisation de 1965 a été la dernière sans coopération du gouverneur jusqu’à l’ère Trump.

Des questions juridiques et des contestations élargies

Des affaires ont été portées devant les tribunaux fédéraux dans des États comme la Californie et l’Oregon. En Californie, le juge Charles R. Breyer a qualifié la décision d’illégale et a estimé que Washington avait ignoré les procédures pour fédéraliser les troupes. Toutefois, la Cour d’appel du neuvième circuit a rappelé qu’un degré élevé de déférence pouvait être accordé au président en matière militaire. En Oregon, la juge fédérale Karin Immergut a temporairement bloqué la mobilisation, jugeant que les faits ne démontraient pas la nécessité d’une intervention militaire et avertissant que l’action fédérale à Portland pourrait porter atteinte à la souveraineté de l’État. Une affaire est en cours en Illinois, où une juge fédérale a refusé de bloquer immédiatement le déploiement et a laissé à l’administration jusqu’à la fin de la journée pour répondre à la plainte.

Et l’Insurrection Act ? une option exceptionnelle et controversée

Face à ces contestations, Donald Trump a évoqué la possibilité d’invoquer l’Insurrection Act, texte d’exception datant du XIXe siècle, qui permettrait des opérations de maintien de l’ordre civil, des arrestations et des perquisitions, éléments non envisageables avec une simple mobilisation de la Garde nationale. Cet acte, qu’il a été utilisé à quelques reprises dans l’histoire — notamment pour des épisodes de déségrégation et lors des émeutes de Los Angeles en 1992 — demeure extrêmement controversé et soumis à des conditions strictes. Pour certains juristes, les critères exigés par l’insurrection ne seraient pas réunis dans le contexte actuel, ce qui rendrait son éventuelle utilisation politiquement sensible et légalement complexe. La question de savoir si et quand la Cour suprême pourrait intervenir pour préciser les conditions d’emploi des forces armées dans les villes américaines demeure ouverte.